Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/368

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profondes… Le capitaine s’impatiente… s’énerve… Il creuse le sable de l’allée, sous le talon de ses chaussures :

— Voyons, Célestine… Trente-cinq francs par mois… la table du maître… la chambre du maître, foutre !… un testament… Ça vous va-t-il ?… Répondez-moi…

— Nous verrons plus tard… Mais prenez en une autre, en attendant, foutre !…

Et je me sauve pour ne pas lui souffler dans la figure la tempête de rires qui gronde en ma gorge.


Je n’ai donc que l’embarras du choix… Le capitaine ou Joseph ?… Vivre à l’état de servante maîtresse avec tous les aléas qu’un tel état comporte, c’est-à-dire rester encore à la merci d’un homme stupide, grossier, changeant, et sous la dépendance de mille circonstances fâcheuses et de mille préjugés ?… Ou bien me marier et acquérir ainsi une sorte de liberté régulière et respectée, dans une situation exempte du contrôle des autres, libérée du caprice des événements ?… Voilà enfin une partie de mon rêve qui se réalise…

Il est bien évident que cette réalisation, j’aurais pu la souhaiter plus grandiose… Mais, à voir combien peu de chances s’offrent, en général, dans l’existence d’une femme comme moi, je dois me féliciter qu’il m’arrive enfin quelque chose