Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/370

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capitaine, je suis sûre que cela ne peut pas arriver, ne peut pas physiquement arriver… Il me semble que ce serait quelque chose contre nature… quelque chose de pire que le chien de Cléclé… Eh bien, malgré cela, je suis contente… et j’en éprouve presque de l’orgueil… De si bas qu’il vienne, c’est tout de même un hommage, et cet hommage me donne davantage confiance en moi-même et en ma beauté…

À l’égard de Joseph, mes sentiments sont tout autres. Joseph a pris possession de ma pensée. Il la retient, il la captive, il l’obsède… Il me trouble, m’enchante et me fait peur, tour à tour. Certes, il est laid, brutalement, horriblement laid, mais, quand on décompose cette laideur, elle a quelque chose de formidable qui est presque de la beauté, qui est plus que la beauté, qui est au-dessus de la beauté, comme un élément. Je ne me dissimule pas la difficulté, le danger de vivre, mariée ou non, avec un tel homme dont il m’est permis de tout soupçonner et dont, en réalité, je ne connais rien… Et c’est ce qui m’attire vers lui avec la violence d’un vertige… Au moins, celui-là est capable de beaucoup de choses dans le crime, peut-être, et peut-être aussi dans le bien… Je ne sais pas… Que veut-il de moi ?… que fera-t-il de moi ?… Serais-je l’instrument inconscient de combinaisons que j’ignore… le jouet de ses passions féroces ?… M’aime-t-il seulement… et pourquoi m’aime-t-il ?… Pour ma gentillesse… pour mes