Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/378

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samment, allègrement, sous la peau blanche… Sur les avant-bras et de chaque côté des biceps, je vois des tatouages, cœurs enflammés, poignards croisés, au dessus d’un pot de fleurs… Une odeur forte de mâle, presque de fauve, monte de sa poitrine large et bombée comme une cuirasse… Alors, grisée par cette force et par cette odeur, je m’accote au chevalet où tout à l’heure, quand je suis venue, il frottait les cuivres des harnais… Ni M. Xavier, ni M. Jean, ni tous les autres, qui étaient, pourtant, jolis et parfumés, ne m’ont produit jamais une impression aussi violente que celle qui me vient de ce presque vieillard, à crâne étroit, à face de bête cruelle… Et, l’étreignant à mon tour, tâchant de faire fléchir, sous ma main, ses muscles durs et bandés comme de l’acier :

— Joseph… lui dis-je d’une voix défaillante… il faut se mettre ensemble, tout de suite… mon petit Joseph… Moi aussi, je rêve de vous… moi aussi, j’ai les sangs tournés de vous…

Mais Joseph, grave, paternel, répond :

— Ça ne se peut pas, maintenant, Célestine…

— Ah ! tout de suite, Joseph, mon cher petit Joseph !…

Il se dégage de mon étreinte avec des mouvements doux.

— Si c’était, seulement pour s’amuser, Célestine… bien sûr… Oui mais… c’est sérieux… c’est