Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/413

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sortit du bureau après avoir fait deux révérences… À ses yeux, au pincement de ses lèvres, je vis qu’elle était sur le point de pleurer.

Restée seule, la dame, furieuse, s’écria :

— Ah ! les domestiques… quelle plaie !… On ne peut plus se faire servir aujourd’hui…

À quoi Mme  Paulhat-Durand, qui avait terminé le triage de ses fiches, répondit, majestueuse, accablée et sévère :

— Je vous avais avertie, Madame. Elles sont toutes comme ça… Elles ne veulent rien faire et gagner des mille et des cents… Je n’ai rien d’autre aujourd’hui… je n’ai que du pire. Demain je verrai à vous trouver quelque chose… Ah ! c’est bien désolant, je vous assure…

Je redescendis de mon observatoire, au moment où Jeanne Le Godec rentrait dans l’antichambre en rumeur.

— Et bien ? lui demanda-t-on…

Elle alla s’asseoir sur la banquette, au fond de la pièce, et la tête basse, les bras croisés, le cœur bien gros, la faim au ventre, elle resta silencieuse, tandis que ses deux petits pieds s’agitaient nerveusement, sous la robe…


Mais je vis des choses plus tristes encore.

Parmi les filles qui, tous les jours, venaient chez Mme  Paulhat-Durand, j’en avais remarqué une, d’abord parce qu’elle portait une coiffe bretonne, ensuite parce que rien que de la voir,