Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/432

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choses heureuses qui pourraient vous arriver… avec de la conduite…

— Avec de l’inconduite… voulez-vous dire…

— Ça dépend des façons de voir… Moi, j’appelle ça de la conduite…

Elle s’amollissait… Peu à peu, son masque de dignité tombait… Je n’avais plus devant moi que l’ancienne femme de chambre, experte à toutes les canailleries… En ce moment, elle avait des yeux cochons, des gestes gras et mous, ce lapement en quelque sorte rituel de la bouche, qu’ont toutes les proxénètes et que j’avais observé aux lèvres de « Madame Rebecca Ranvet, Modes »… Elle répéta :

— Moi, j’appelle ça de la conduite.

— Ça, quoi ? fis-je.

— Voyons, Mademoiselle… Vous n’êtes pas une débutante et vous connaissez la vie… On peut parler avec vous… Il s’agit d’un monsieur seul, déjà âgé… pas extrêmement loin de Paris… très riche… oui, enfin, assez riche… Vous tiendrez sa maison… quelque chose comme gouvernante… comprenez-vous ?… Ce sont des places très délicates… très recherchées… d’un grand profit… Il y a là un avenir certain, pour une femme comme vous, intelligente comme vous, gentille comme vous… et qui aurait, je le répète, de la conduite…

C’était mon ambition… Bien des fois, j’avais bâti de merveilleux avenirs sur la toquade d’un