Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/446

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L’homme répondit :

— Tiens ! pour qu’elle nous fiche à la porte, comme les trois autres…

— Aujourd’hui ou demain, va !…

Alors l’homme murmura entre ses dents :

— Si t’étais une femme… eh bien, tu irais, dès ce soir, chez la mère Hurlot… elle a des herbes !

Mais la femme se mit à pleurer… Et elle gémissait, dans ses larmes :

— Ne dis pas ça… ne dis pas ça… Ça porte malheur !

L’homme tapa sur la table, et il cria :

— Faut donc crever… nom de Dieu !…

Le malheur vint. Quatre jours après, la femme eut une fausse couche — une fausse couche ? — et mourut en d’affreuses douleurs d’une péritonite.

Et quand l’homme eut terminé son récit, il me dit :

— Ainsi, me voilà tout seul, maintenant. Je n’ai plus de femme, plus d’enfant, plus rien. J’ai bien songé à me venger… oui, j’ai songé longtemps à tuer ces trois enfants qui jouaient sur la pelouse… Je ne suis pas méchant pourtant, je vous assure, et pourtant, les trois enfants de cette femme, je vous le jure, je les aurais étranglés avec une joie…, une joie !… Ah ! oui… Et puis, je n’ai pas osé… Qu’est-ce que vous voulez ? On a peur… on est lâche… on n’a de courage que pour souffrir !