Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/454

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— Ce n’est rien, fit-il, calmement… c’est le petit.

Pendant ce temps, un jeune homme entrait, presque un enfant. Très mince, très blond, très blanc de peau, sous une ombre de barbe — dix-huit ans à peine —, il était joli comme un amour. Il portait un veston tout neuf, élégant, qui dessinait son buste svelte et gracile, une cravate rose… C’était le fils des concierges de la maison voisine. Il venait, paraît-il, tous les soirs… Eugénie l’adorait, en était folle. Chaque jour, elle mettait de côté, dans un grand panier, des soupières pleines de bouillon, de belles tranches de viande, des bouteilles de vin, de gros fruits et des gâteaux que le petit emportait à ses parents.

— Pourquoi viens-tu si tard, ce soir ? demanda Eugénie.

Le petit s’excusa d’une voix traînante :

— A fallu que j’garde la loge… maman faisait une course…

— Ta mère… ta mère… Ah ! mauvais sujet, est-ce vrai au moins ?…

Elle soupira et, ses yeux dans les yeux de l’enfant, les deux mains appuyées à ses épaules, elle débita d’un ton dolent :

— Quand tu tardes à venir, j’ai toujours peur de quelque chose. Je ne veux pas que tu te mettes en retard, mon chéri… Tu diras à ta mère que si cela continue… eh bien, je ne te donnerai plus rien… pour elle…