Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/456

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gros, ce gamin… La semaine dernière, elle l’a encore habillé tout à neuf. C’est pas vous qui m’aimeriez comme ça !…

Cette scène m’avait profondément émue, et tout de suite je vouai à la pauvre Eugénie une amitié de sœur… Ce gamin ressemblait à M. Xavier… Du moins, entre ces deux jolis êtres de pourriture, il y avait une similitude morale. Et ce rapprochement me rendit triste, oh ! triste, infiniment. Je me revis dans la chambre de M. Xavier, le soir où je lui donnai les quatre-vingt-dix francs… Oh ! ta petite frimousse, ta petite bouche, tes grands yeux !… C’étaient les mêmes yeux froids et cruels, la même ondulation du corps… c’était le même vice qui brillait à ses prunelles et donnait au baiser de ses lèvres quelque chose d’engourdissant, comme un poison…

Je me dégageai des bras de William, devenu de plus en plus entreprenant :

— Non… lui dis-je, un peu sèchement… pas ce soir…

— Mais tu avais promis d’être chouette avec Bibi ?…

— Pas ce soir…

Et, m’arrachant à son étreinte, j’arrangeai un peu le désordre de mes cheveux, le chiffonnement de mes jupes, et je dis :

— Ah ! bien, tout de même !… ça ne traîne pas avec vous…