Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/463

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

volute graisseuse. Dans une société qui se pâme aux odeurs du crottin, Edgar est déjà quelqu’un de moins anonyme qu’un ouvrier ou un paysan ; presque un gentleman.

À Eaton, il apprend à fond son métier. Il sait comment il faut panser un cheval de luxe, comment il faut le soigner, quand il est malade, quelles toilettes minutieuses et compliquées, différentes selon la couleur de la robe, lui conviennent ; il sait le secret des lavages intimes, les polissages raffinés, les pédicurages savants, les maquillages ingénieux, par quoi valent et s’embellissent les bêtes de course, comme les bêtes d’amour… Dans les bars, il connaît des jockeys considérables, de célèbres entraîneurs et des baronnets ventrus, des ducs filous et voyous qui sont la crème de ce fumier et la fleur de ce crottin… Edgar eût souhaité devenir jockey, car il suppute déjà tout ce qu’il y a de tours à jouer et d’affaires à faire. Mais il a grandi. Si ses jambes sont restées maigres et arquées, son estomac s’est développé et son ventre bedonne… Il a trop de poids. Ne pouvant endosser la casaque du jockey, il se décide à revêtir la livrée du cocher…

Aujourd’hui, Edgar a quarante-trois ans. Il est des cinq ou six piqueurs anglais, italiens et français dont on parle dans le monde élégant avec émerveillement… Son nom triomphe dans les journaux de sport, même dans les échos des gazettes mondaines et littéraires. Le baron de