Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/465

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tainement rencontré Edgar, qui en est une des ordinaires et plus précieuses parures. C’est un homme de taille moyenne, très laid, d’une laideur comique d’Anglais, et dont le nez démesurément long a des courbes doublement royales et qui oscillent entre la courbe sémitique et la courbe bourbonienne… Les lèvres, très courtes et retroussées, montrent, entre les dents gâtées, des trous noirs. Son teint s’est éclairci dans la gamme des jaunes, relevé aux pommettes de quelques hachures de laque vive. Sans être obèse, comme les majestueux cochers de l’ancien jeu, il est maintenant doué d’un embonpoint confortable et régulier, qui rembourre de graisse les exostoses canailles de son ossature. Et il marche, le buste légèrement penché en avant, l’échine sautillante, les coudes écartés à l’angle réglementaire. Dédaigneux de suivre la mode, jaloux plutôt de l’imposer, il est vêtu richement et fantaisistement. Il a des redingotes bleues, à revers de moire, ultra-collantes, trop neuves ; des pantalons de coupe anglaise, trop clairs ; des cravates trop blanches, des bijoux trop gros, des mouchoirs trop parfumés, des bottines trop vernies, des chapeaux trop luisants… Combien longtemps les jeunes gommeux envièrent-ils à Edgar l’insolite et fulgurant éclat de ses couvre-chefs !

À huit heures, le matin, en petit chapeau rond, en pardessus mastic aussi court qu’un veston, une énorme rose jaune à sa boutonnière, Edgar