Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/471

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— Les grandes dames, disait William, c’est comme les sauces des meilleures cuisines, il ne faut pas voir comment ça se fabrique… Ça vous empêcherait de coucher avec…

William avait de ces aphorismes désenchantés. Et comme c’était, tout de même, un homme très galant, il ajoutait en me prenant la taille :

— Un petit trognon comme toi, ça flatte moins la vanité d’un amant… Mais c’est plus sérieux, tout de même.

Je dois dire que ses colères et ses gros mots, Madame les passait toujours sur Monsieur… Avec nous, elle était, je le répète, plutôt timide…

Madame montrait aussi, au milieu du désordre de sa maison, parmi tout ce coulage effréné qu’elle tolérait, des avarices très bizarres et tout à fait inattendues… Elle chipotait la cuisinière pour deux sous de salade, économisait sur le blanchissage de l’office, renâclait sur une note de trois francs, n’avait de cesse qu’elle eût obtenu, après des plaintes, des correspondances sans fin, d’interminables démarches, la remise de quinze centimes, indûment perçus par le factage du chemin de fer, pour le transport d’un paquet. Chaque fois qu’elle prenait un fiacre, c’étaient des engueulements avec le cocher à qui, non seulement elle ne donnait pas de pourboire, mais qu’elle trouvait encore le moyen de carotter… Ce qui n’empêche pas que son argent traînât partout avec ses bijoux et ses clés sur les tables de cheminées et