Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/487

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ce flot d’ordures… Il gagna la porte, m’aperçut… s’enfuit, et Madame lui cria, encore, dans le couloir, d’une voix devenue encore plus rauque, horrible…

— Maquereau… sale maquereau !…

Et elle s’affaissa sur sa chaise longue, vaincue par une terrible attaque de nerfs, que je finis par calmer en lui faisant respirer tout un flacon d’éther…

Alors, Madame reprit la lecture de ses romans d’amour, rangea à nouveau ses tiroirs. Monsieur s’absorba plus que jamais dans des patiences compliquées et dans la révision de sa collection de pipes… Et la correspondance recommença… D’abord timide, espacée, elle se fit bientôt acharnée et nombreuse… J’étais sur les dents, à force de courir, porteuse de menaces en forme de cœur ou de cocotte, de la chambre de l’une au cabinet de l’autre… Ce que je rigolais !…

Trois jours après cette scène, en lisant une missive de Monsieur, sur papier rose, à ses armes, Madame pâlit, et, tout à coup, elle me demanda, haletante :

— Célestine ?… Croyez-vous vraiment que Monsieur veuille se tuer ?… Lui avez-vous vu des armes dans la main ? Mon Dieu !… s’il allait se tuer ?…

J’éclatai de rire, au nez de Madame… Et ce rire, qui était parti, malgré moi, grandit, se déchaîna, se précipita… Je crus que j’allais mourir,