Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/50

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autres et sur eux-mêmes, chipotant âprement sur les notes, reniant leur parole, ne reconnaissant des conventions acceptées que ce qui est écrit et signé, il faut avoir l’œil avec eux, et, dans les rapports d’affaires, ne jamais ouvrir la porte à une contestation quelconque. Ils en profitent aussitôt pour ne pas payer, surtout les petits fournisseurs qui ne peuvent supporter les frais d’un procès, et les pauvres diables qui n’ont point de défense… Naturellement, ils ne donnent jamais rien, si ce n’est, de temps en temps, à l’église, car ils sont fort dévots. Quant aux pauvres, ils peuvent crever de faim devant la porte du Prieuré, implorer et gémir. La porte reste toujours fermée…

— Je crois même, disait la mercière, que s’ils pouvaient prendre quelque chose dans la besace des mendiants, ils le feraient sans remords, avec une joie sauvage…

Et elle ajoutait, à titre d’exemple monstrueux :

— Ainsi, nous tous ici qui gagnons notre vie péniblement, quand nous rendons le pain bénit, nous achetons de la brioche. C’est une question de convenance et d’amour-propre… Eux, les sales pingres, ils distribuent, quoi ?… Du pain, ma chère demoiselle. Et pas même du pain blanc, du pain de première qualité… Non… du pain d’ouvrier… Est-ce pas honteux… des personnes si riches ?… Même que la Paumier, la femme du tonnelier, a entendu un jour Mme  Lanlaire dire au