Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/51

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curé qui lui reprochait doucement cette crasserie : « Monsieur le curé, c’est toujours assez bon pour ces gens-là ! »

Il faut être juste, même avec ses maîtres. S’il n’y a qu’une voix sur le compte de Madame, on n’en veut pas à Monsieur… On ne déteste pas Monsieur… Chacun est d’accord pour déclarer que Monsieur n’est pas fier, qu’il serait généreux envers le monde, et ferait beaucoup de bien, s’il le pouvait. Le malheur est qu’il ne le peut pas… Monsieur n’est rien chez lui… moins que les domestiques, pourtant durement traités, moins que le chat à qui on permet tout… Peu à peu, et pour être tranquille, il a abdiqué toute autorité de maître de maison, toute dignité d’homme aux mains de sa femme. C’est Madame qui dirige, règle, organise, administre tout… Madame s’occupe de l’écurie, de la basse-cour, du jardin, de la cave, du bûcher et elle trouve à redire sur tout. Jamais les choses ne vont comme elle voudrait, et elle prétend sans cesse qu’on la vole… Ce qu’elle a un œil !… C’est inimaginable. On ne lui pose pas de blagues, bien sûr, car elle les connaît toutes… C’est elle qui paie les notes, touche les rentes et les fermages, conclut les marchés… Elle a des roueries de vieux comptable, des indélicatesses d’huissier véreux, des combinaisons géniales d’usurier… C’est à ne pas croire… Naturellement, elle tient la bourse, férocement, et elle n’en dénoue les cor-