Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/510

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paration de ce coup de main audacieux et incomparablement exécuté, il y eût un lien évident. Et je me souvenais de cette réponse qu’il m’avait faite, la veille de son départ :

— Ça dépend… d’une affaire très importante…

Quoiqu’il s’efforçât de paraître naturel, je percevais dans ses gestes, dans son attitude, dans son silence, une gêne inhabituelle… visible pour moi seule…

Ce pressentiment, je n’essayai pas de le repousser, tant il me satisfaisait. Au contraire, je m’y complus avec une joie intense… Marianne, nous ayant laissés seuls un moment dans la cuisine, je m’approchai de Joseph, et câline, tendre, émue d’une émotion inexprimable, je lui demandai :

— Dites-moi, Joseph, que c’est vous qui avez violé la petite Claire dans le bois… Dites-moi que… c’est vous qui avez volé l’argenterie de Madame…

Surpris, hébété de cette question, Joseph me regarda… Puis, tout d’un coup sans me répondre, il m’attira vers lui et faisant ployer ma nuque sous un baiser, fort comme un coup de massue, il me dit :

— Ne parle pas de ça… puisque tu viendras là-bas avec moi, dans le petit café… et puisque nos deux âmes sont pareilles !…

Je me souvins avoir vu, dans un petit salon, chez la comtesse Fardin, une sorte d’idole hin-