Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/516

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aimer ses maîtres… les maîtres sont les maîtres… Et, tenez, je vous recommande ça… Soyez bien gentille, bien douce, bien dévouée… travaillez bien… Ne répondez pas… Enfin, quoi, Célestine, il faut bien quitter d’avec eux… d’avec Madame, surtout…

Je suivis les conseils de Joseph et, durant les mois que nous avions à rester au Prieuré, je me promis de devenir une femme de chambre modèle, une perle, moi aussi… Toutes les intelligences, toutes les complaisances, toutes les délicatesses, je les prodiguai… Madame s’humanisait avec moi ; peu à peu, elle se faisait véritablement mon amie… Je ne crois pas que mes soins seuls eussent amené ce changement dans le caractère de Madame. Madame avait été frappée dans son orgueil, et jusque dans ses raisons de vivre. Comme après une grande douleur, après la perte foudroyante d’un être uniquement chéri, elle ne luttait plus, s’abandonnait, douce et plaintive, à l’abattement de ses nerfs vaincus et de ses fiertés humiliées, et elle ne semblait plus chercher auprès de ceux qui l’entouraient que de la consolation, de la pitié, de la confiance. L’enfer du Prieuré se transformait pour tout le monde en un vrai paradis…

C’est au plein de cette paix familiale, de cette douceur domestique, que j’annonçai un matin à Madame la nécessité où j’étais de la quitter… J’inventai une histoire romanesque… je devais