Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/83

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vicaire. Il a l’air sale et brutal… Il ressemble plus à un charretier qu’à un prêtre… Moi, il me faut de la délicatesse, de la poésie… de l’au-delà… et des mains blanches. J’aime que les hommes soient doux et chic, comme était monsieur Jean…

Après la messe, Rose m’entraîne chez l’épicière… En quelques mots mystérieux, elle m’explique qu’il faut être bien avec elle, et que toutes les domestiques lui font une cour empressée…

Encore une petite boulotte — décidément, c’est le pays des grosses femmes… Son visage est criblé de taches de rousseur, ses cheveux, blond filasse, rares et ternes, laissent voir des parties de crâne, au sommet duquel se hérisse drôlement, et pareil à un petit balai, un chignon. Au moindre mouvement, sa poitrine, sous le corsage de drap brun, remue comme un liquide dans une bouteille… Ses yeux, bordés d’un cercle rouge, s’éraillent, et sa bouche ignoble transforme en grimaces le sourire… Rose me présente :

— Madame Gouin, je vous amène la nouvelle femme de chambre du Prieuré…

L’épicière m’observe avec attention et je remarque que son regard s’attache à ma taille, à mon ventre, avec une obstination gênante… Elle dit d’une voix blanche :

— Mademoiselle est chez elle, ici… Mademoiselle est une belle fille… Mademoiselle est parisienne, sans doute ?…