Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/97

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— Non… remportez l’aiguille et le bouton… Je n’ai pas le temps…

J’ai les reins rompus, les genoux presque ankylosés, je n’en puis plus… Cela suffit à Madame… elle est contente… Et dire qu’il existe une société pour la protection des animaux…

Le soir, en passant sa revue, dans la lingerie, elle tempête :

— Comment ?… Vous n’avez rien fait ?… À quoi employez-vous donc vos journées ?… Je ne vous paie pas pour que vous flâniez du matin au soir…

Je réplique d’un ton un peu bref, car cette injustice me révolte :

— Mais, Madame m’a dérangée, tout le temps.

— Je vous ai dérangée, moi ?… D’abord, je vous défends de me répondre… Je ne veux pas d’observation, entendez-vous ?… Je sais ce que je dis.

Et des claquements de porte, des ronchonnements qui n’en finissent pas… Dans les corridors, à la cuisine, au jardin, des heures entières, on entend sa voix qui glapit… Ah ! qu’elle est tannante !

En vérité, on ne sait par quel bout la prendre… Que peut-elle donc avoir, dans le corps, pour être toujours dans un tel état d’irritation ? Et comme je la planterais là, si j’étais sûre de trouver une place, tout de suite…

Tantôt je souffrais plus encore que de coutume… Je ressentais une douleur si aiguë que c’était