Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/99

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avec un tapis de feutre rouge, et garnie du haut en bas de grandes armoires d’acajou, à serrures dorées. Et l’on riait, et l’on s’amusait à dire des bêtises, à faire la lecture, à singer les réceptions de Madame, tout cela sous la surveillance d’une gouvernante anglaise, qui nous préparait du thé, du bon thé que Madame achetait en Angleterre, pour ses petits déjeuners du matin… Quelquefois, de l’office, le maître d’hôtel — un qui était à la coule — nous apportait des gâteaux, des toasts au caviar, des tranches de jambon, un tas de bonnes choses…

Je me souviens qu’un après-midi on m’obligea à revêtir un costume très chic de Monsieur, de Coco, comme nous l’appelions entre nous… Naturellement, on joua à toutes sortes de jeux risqués ; on alla même très loin dans la plaisanterie. Et j’étais si drôle en homme, et je ris tellement fort de me voir ainsi que, n’y tenant plus, je laissai des traces humides dans le pantalon de Coco…

Ça c’était une place !…


Je commence à bien connaître Monsieur… On a raison de dire que c’est un homme excellent et généreux, car, s’il n’était point tel, il n’y aurait pas dans le monde de pire canaille, de plus parfait filou… Le besoin, la rage qu’il a d’être charitable le poussent à commettre des actions qui ne sont pas très bien. Si l’intention est louable, chez lui, il n’en va pas de même, chez les autres, du résultat