Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/184

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Nous autres écrivains, nous ne sommes pas des savants, soit ! Nous sommes presque tous des rêveurs ! Je te l’accorde, quoique tu n’en saches rien. Mais où donc as-tu vu que les rêveurs n’aient point apporté leur part de bien au progrès humain ? Les savants, les médecins, renfermés dans leur sphère d’action, se bornent à chercher, dans la thérapeutique, des remèdes souvent illusoires. Nous, c’est dans la société, dans une société refaite plus harmonique aux besoins de la vie, retrempée aux sources éternelles de la nature, que nous allons les chercher, ces remèdes, et peut-être, ces guérisons !…

Mais j’entends d’ici l’homme de la Justice, de la Loi et de la Morale me répondre :

— À quoi bon tout cela ?… Et tu t’époumones, mon cher, sans raison… Tu sais bien quel est ton crime… Ton crime, ce n’est pas d’offenser l’ingénuité des petites filles ou d’attenter à la pudeur des vieilles courtisanes… Non… ton crime — et il est impardonnable, et il mérite les châtiments les plus exemplaires — c’est de mettre la Société en face d’elle-même, c’est-à-dire en face de son propre mensonge, et de mettre aussi les individus en face des réalités ! Voyons, franchement, que veux-tu que nous devenions, moi, ma Justice, ma Loi et ma Morale, si, un jour, une telle catastrophe nous arrivait, et que, au-dessus de