Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/103

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la poussière de nos bibliothèques, et qu’on les interroge, il semble qu’ils n’aient gardé qu’une valeur archéologique, une beauté conventionnelle de ruine, célébrée par Joanne et par Baedeker pour la curiosité des touristes. Auprès de Balzac, de Stendhal, de Heine, de Flaubert, à qui la mort refait tous les jours une immortelle jeunesse, ils prennent des allures d’ombres errantes ou formes évanouies de spectres. C’est qu’avec des qualités rares et brillantes qui suffisent à la contemporanéité qui les acclame, ils ne possédaient pas les dons supérieurs qui font les œuvres fortes et durables : le sens de la vie et l’amour de la nature. Et c’est de cela qu’ils meurent. Les écritures changent, le verbe se renouvelle, les écoles s’abolissent et font place à d’autres, mais dans les évolutions des choses, dans le recommencement incessant des modes, l’homme reste la source immuable et jamais épuisée des plus nobles études, des plus nobles émotions de l’artiste. À côté de l’histoire des faits politiques, des architectures et des costumes, il y a l’histoire des âmes, et c’est celle-ci qu’on demande à qui possède une pensée et tient une plume. Tout en eux a été artifice et convention depuis les préciosités analytiques, les retournements de sensation auxquels se plaisait Sainte-Beuve, jusqu’aux formidables paradoxes de Gautier, le plus doué, pourtant, le plus artiste des trois, et qui a volontairement caché l’homme de son œuvre et s’est immobilisé dans un rêve de pierre.