Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/174

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la plus géniale de ce temps, et la plus extraordinaire, et la plus naïve aussi, comparable et — oserai-je le dire ? — supérieure en beauté à ce qu’il y a de plus beau dans Shakespeare. Cette œuvre s’appelle La Princesse Maleine. Existe-t-il dans le monde vingt personnes qui la connaissent ? J’en doute.

Avant La Princesse Maleine, M. Maurice Maeterlinck avait publié Serres chaudes, d’étranges et souvent admirables poèmes. Tout l’art si absolument réalisé depuis dans La Princesse Maleine s’y trouve contenu, à l’état de minerai, pour ainsi dire, mais un minerai d’une abondance incroyable et d’une excessive richesse. Il y a là, vraiment, parmi beaucoup de choses, peut-être inutiles et trop touffues, des sensations encore inédites dans la littérature ; il y a là, vraiment, de l’inexprimé. Si jamais un critique s’avise, par hasard, d’ouvrir ce livre, il est probable qu’il accusera l’auteur d’être obscur et même décadent. Et il se livrera à de très anciennes plaisanteries dont la facilité vulgaire réjouit toujours les sots et les gens de bon sens. La vérité est que personne n’a plus de clarté dans le verbe que M. Maeterlinck. Pour le comprendre en l’intimité de sa pensée et l’étrangeté de ses analogies, il faut, en quelque sorte, épouser ses états d’âme et se vivre en lui comme lui-même se vit dans les choses. Ce