Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/207

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Nous n’avons pas à redouter une catastrophe semblable en ce qui concerne l’amour. Les tons et demi-tons de son octave ont depuis longtemps épuisé leurs combinaisons ; et l’humanité voit, tous les jours, naître des romanciers qui recommencent, sans jamais nous fatiguer, les combinaisons littéraires de leurs aînés. D’ailleurs, il ferait beau voir qu’ils voulussent imposer au public une autre marchandise dont celui-ci n’aurait ni l’habitude, ni l’emploi. Nous avons déjà assisté à une révolution terrible et qui faillit mal tourner pour les littérateurs. Autrefois, l’amour était, dans les œuvres dites “d’imagination”, l’exclusif privilège des hautes classes. Il fallait être au moins baron et vicomtesse pour avoir droit à l’amour des romanciers. Qu’une blanchisseuse, par exemple, et un menuisier pussent s’aimer, cela ne se concevait pas. On savait bien qu’ils faisaient des enfants, mais c’était, sans doute, un effet du hasard et non un résultat de l’amour.

Quelques écrivains hardis et brutaux, rompant tout à coup avec la tradition des amours élégantes et titrées, imaginèrent d’introduire dans leurs romans des blanchisseuses, des menuisiers, et de les faire s’aimer comme s’ils étaient des marquises ou des ducs. C’était une prétention insoutenable et malhonnête. Aussi le scandale fut-il énorme. On protesta au nom du bon goût, de la morale et de la vérité. Les critiques décidèrent que c’était la fin du