Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/233

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

le dangereux internationaliste qui, traitant de l’Allemagne, ne l’avait pas provoquée à des guerres immédiates et n’avait point déposé sur le tombeau de Regnault l’obligatoire couronne, elle le congédia. Avant de quitter ses fonctions, pour sa dignité, M. de Gourmont voulut ramener les choses à la vérité. On refusa de l’entendre. Avait-il insulté Goethe ? Non. Avait-il promis de fusiller Haeckel ? Non. Alors, quel était son crime ? Et — comble de l’audace — M. de Gourmont avouait garder à la mémoire de Jules Laforgue, qui avait été lecteur de l’impératrice Augusta, un culte tendre… Alors, il ne l’aurait pas fusillé non plus, celui-là, un espion sans doute ? … Que pouvait-on attendre d’un bibliothécaire qui s’obstinait à ne fusiller personne ? M. de Gourmont fut impitoyablement révoqué.

Voilà où nous en sommes venus, après d’innombrables révolutions ; et telle est la grande liberté intellectuelle dont nous jouissons. Nous tremblons devant l’idée ; la moindre interrogation philosophique nous effare. Et nous avons des gestes longs et de sublimes attitudes pour proclamer que nous sommes les seuls initiateurs de la civilisation et les porte-lumière du progrès, nous, les vaudevillistes impénitents, les roucouleurs des plates romances. Il faut que ceux qui ont quelque chose à dire et à faire supportent