Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/238

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facultés de sentir, il avait gardé la foi carrée du peuple, son enthousiasme robuste, son entêtement brutal, sa certitude simpliste en l’avenir des bienfaisantes justices. C’est ce qui lui a permis de vivre sa vie, trop courte, hélas ! par les années, trop longue et trop lourde par les luttes où, toujours, il se débattit. Je voudrais que tous ceux qui liront cet article puissent lire un des livres de Jean Lombard, L’Agonie, par exemple. Il est possible que quelques-uns soient choqués par ce style barbare, polychrome, et forgé de mots techniques, pris aux glossaires de l’antiquité, bien que ce style ait vraiment une grande allure, des sonorités magnifiques, un fracas d’armures heurtées, de chars emportés et comme l’odeur même — une odeur forte de sang et de fauves des âges qu’il raconte. Mais il est impossible que personne ne soit frappé par la puissance de vision humaine, d’hallucination historique, avec laquelle ce cerveau de plébéien a conçu, a reproduit les civilisations pourries de Rome, sous Héliogabale, et de Byzance. C’est très grand et d’une monotonie splendide. Des théories d’hommes passent et repassent en gestes convulsés d’ovations, en belles attitudes martiales de défilés de guerre, en troublants cortèges de religions infâmes, en courses haletantes d’émeutes. Comment, par des mots, donner une idée de cela qui est formidable ? C’est frénétique et morne ; tout un peuple d’ombres soulevé hors du néant.

L’Agonie, c’est Rome envahie, polluée par les