Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/242

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La mêlée est compacte, dure, égoïste. On n’y entend pas les cris de douleur, les appels désespérés couverts par le hurlement de tous. Chacun pour soi. On ne se connaît pas ; on n’a pas le temps. On n’a le temps que de songer à ses intérêts, à sa réclame, à sa vie, si disputée. Il paraît trop de livres, et les mauvaises herbes, que personne n’arrache, et qui jettent librement, à tous les vents, leurs pullulantes graines, étouffent les belles fleurs, poussées à leur ombre mortelle.

Ce que je voudrais dire encore, c’est l’attitude très noble de Mme Lombard. Ceci est d’un ordre plus intime, et si j’ose en parler, c’est que j’espère éveiller, en faveur de cette admirable créature, la pitié des bonnes âmes. Mme Lombard, qui est du peuple, a, à un très haut point, le respect du « génie » de son mari, car, pour elle, n’est-ce pas, le mot n’est pas déplacé. Dans sa détresse, elle ne songe pas à elle, elle ne songe qu’à lui. Son unique crainte est que le nom de Lombard ne disparaisse, qu’avec les pelletées de terre on n’ait jeté l’oubli sur la fosse de celui dont elle était si fière, et qu’elle aimait comme un saint, comme un Dieu. Elle sent, cette femme inculte et dévouée, que le talent de son mari, bien qu’elle ne le comprît pas, était quelque chose de grand, plus grand même que le génie… Connaissez vous rien de plus touchant ?

Octave Mirbeau, L’Écho de Paris, 28 juillet 1891