Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/38

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l’élève au-dessus des autres, et au-dessus de son propre mérite. Qui connaîtrait le nom de M. Legouvé, de M. Mézières, et de tant d’autres, si l’Académie n’était venue les prendre à leur obscurité et ne leur avait mis autour du front un peu du rayonnement que projette le soleil de la routine officielle ?

Nous avons un poète et un poète admirable, plus grand que Musset peut-être, et plus magnifique que Victor Hugo, un poète dont les vers retentiront à tous les âges, comme la plus éloquente et la plus éblouissante expression du génie français. Ce poète a vécu toute sa vie, dans un rêve d’idéal, loin du bruit, loin de la réclame, loin des vaines jouissances que donne la popularité, loin du monde. Il s’est fait de son art un refuge sourd à toutes les petites passions, à tous les intérêts mesquins, aux luttes stériles dans lesquelles vont s’épuisant et s’écroulant la dignité et la force et la gloire d’un pays. On ne le voit jamais dans les salons influents, débitant des fadaises à de vieilles coquettes en bas bleus, intriguant de-ci, mendiant de-là, prodiguant des courbettes à des sots, des flatteries à des importants, laissant tomber sur des pages d’albums, des quatrains de mirliton et des pensées de couturière, qu’on se répète à l’oreille, et qui font se pâmer les dames de la littérature. Son nom n’est jamais cité parmi ceux qui ornent les théâtres, les soirs des premières, et les foules illustres, les jours des grands enterrements. Il ne connaît ni un banquier, ni un reporter, ni