Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/46

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petit » ; M. Jules Ferry le traite de « cher ami », et Maginard, très courbé, le front dans la poussière, dit : « Monsieur le président », comme un prêtre en prières dit : « Sainte Vierge Marie » .

C’est pourquoi on l’a nommé chevalier de la Légion d’Honneur. Maginard n’est pas un écrivain, pourtant. Il ne possède aucun métier, sinon qu’on l’a connu, jadis, reporter, quêtant l’accident du jour, qu’il allait ensuite colporter de feuille en feuille. Puis il s’est mis à suivre assidûment les débats de la Chambre, et à en rapporter les échos de couloir, des bouts de conversation happés au passage, des indiscrétions qui courent les escaliers. On l’a présenté à un député, lequel le présenta à un ministre. De reporter, il est devenu domestique ; et il a gagné à cela beaucoup de considération. Tous les matins, il va chez le ministre, et le ministre lui commande la besogne de la journée, qui se compose d’entrefilets, pompeux et dénués de français, mais où la politique du maître est portée aux nues. Plus les actes sont criminels, plus les éloges sont enthousiastes. C’est là qu’on lit les choses les plus stupéfiantes de ce temps et qu’il est prouvé fort congrûment que nous ne sommes pas en guerre ; que nos soldats ne meurent pas au Tonkin ; qu’il n’y a point de Chinois, et que jamais la France ne fut plus prospère. Maginard excelle à dénaturer la vérité, et à enrubanner le mensonge. Il n’a d’ailleurs aucune idée à lui, et si, par hasard, il lui