Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/153

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Rober Hagueman dit, au fumoir :

— Il est joliment changé, ce pauvre Dickson-Barnell. Je l’ai connu épatant… autrefois… D’abord, il portait la boisson comme un foudre… Et puis, il ne se plaignait pas de la vie, comme un poète lyrique…

— Dame ! à force d’être si riche, si longtemps riche… fit Triceps, on serait neurasthénique à moins.

Et Robert poursuivit :

— Vous vous souvenez sans doute – car ce fut un événement parisien – de ce qui lui arriva, une matinée qu’il conduisait son mail. Comme il rentrait chez lui, le mail, lancé au trot de ses quatre chevaux, heurta, dans le tournant, la grille de l’hôtel d’un coup si violent et si malencontreux que Dickson-Barnell fut projeté, ainsi qu’un paquet, sur le pavé de la cour et s’y écrasa. On le releva évanoui et dans un tel état de démolition qu’on le crut mort. Et comment n’eût-il pas été mort, en effet ? Il avait le crâne fracturé en deux endroits, trois côtes enfoncées, les genoux déboîtés, une jambe broyée, et, par une large déchirure du ventre, le sang coulait à flots. À grand-peine, on parvint à le transférer dans son lit. Sur son passage, dans les escaliers et les vestibules, il laissait un sillage de sang, et les domestiques qui le portaient en étaient tout rouges… Appelé en hâte, le médecin, qui était un ami très cher de Dickson-Barnell, accourut, examina les plaies, fronça le sourcil,