Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/177

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hui la pauvre petite a juste vingt-trois ans… Et l’empereur est mort… Et il y a un autre empereur… Et rien n’est changé…

Après quoi, nous ayant serré la main, il prit congé de nous…


Nous avions l’âme étreinte par l’émotion, et la soirée eût pris fin d’une façon trop triste, si le père Plançon, régisseur du théâtre, qui avait dîné avec nous, n’avait eu l’idée de nous dérider un peu, en nous chantant quelques vieilles chansons de sa jeunesse… Il était de la bonne école dramatique… et il ne voulait point que le rideau tombât, au théâtre, comme dans la vie, sur les dénouements trop douloureux… Pauvre père Plançon !… Durant qu’il chantait, d’une voix chevrotante, avec des gestes comme doivent en avoir les squelettes… le directeur du Casino me raconta sur lui l’histoire suivante :

« Un jour, le père Plançon fut solennellement mandé dans le cabinet de son directeur.

» – Asseyez-vous, père Plançon, lui dit celui-ci… Et causons un peu, hein ?

« Le père Plançon était un petit bonhomme ratatiné, ridé, chauve, glabre de visage, dont les vêtements trop larges flottaient sur un corps trop maigre, comme une draperie sur du vide. Il avait l’air fort misérable, mais l’habitude de la scène lui donnait une sorte de dignité caricaturale, de dérisoire