Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/242

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Nul ne s’étonnait, non plus, qu’il eût conservé les privilèges et les honneurs que s’attribuaient les grands seigneurs d’autrefois, comme, par exemple, celui-ci… Tous les dimanches, à la fin de la messe, le suisse venait se poster à l’entrée de la petite chapelle « réservée au château », et, lorsque le marquis sortait, suivi de sa famille et de sa livrée, le suisse, superbe avec son chapeau à plumes et son baudrier de soie rouge, le précédait à distance solennelle, l’accompagnait jusqu’à sa voiture, bousculant chaises et gens, frappant les dalles de l’église de sa canne à pomme d’or… et criant :

— Allons… place… place pour M. le marquis !…

Et tout le monde était content, le marquis, le suisse et la foule…

— Ah ! on pouvait aller loin pour en voir des marquis comme ça…

On était content aussi de son château, dont la façade de pierre blanche et les hauts toits d’ardoise dominaient la ville entre le moutonnement des hêtres, sur le coteau ; content de son automobile qui, parfois, écrasait sur les routes des chiens, des moutons, des enfants et des veaux ; content des murs hérissés de culs de bouteilles qui entouraient son parc ; content de ses gardes qui, par trois fois, abattirent dans les fourrés d’affreux braconniers, surpris en flagrant délit de molester les lapins et les lièvres. Et je crois qu’on eût été plus content encore, si M. le marquis eût daigné faire