Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/256

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après-midi qu’il rentrait au château, par la vallée, revenant de voir quelques bœufs à l’engrais, il aperçut, assis au bord de la rive, sous un saule, et posant des balances à écrevisses, le père Franchart… Le père Franchart était un très vieux et doux homme, hâlé de peau, tout blanc de cheveux, et qui, voilà plus de quinze ans, avait eu le bras gauche broyé dans l’engrenage d’un moulin… Infirme, ne pouvant plus travailler, il vivait de menues industries bizarres, de la charité publique, et aussi de la pêche aux écrevisses, quand il n’avait rien d’autre à faire… Mais de tout cela, il vivait fort mal…

Le marquis piqua tout droit vers le père Franchart et l’aborda joyeusement.

— Bonjour, père Franchart… Toujours d’aplomb ?… Ça va comme vous voulez ?

— Point fort… monsieur le marquis… point fort… Ah ! ma foi non… répondit le bonhomme, en enlevant son chapeau dans un mouvement précipité de salutation.

— Allons donc ! riposta le marquis… vous vous plaignez toujours… Et vous êtes droit et robuste, comme un chêne…

Le père Franchart hocha sa vieille tête…

— Ah ! Comme un chêne… Croyez pas ça, monsieur le marquis… Ah ! bon Dieu… il s’en faut…

Le marquis avait écarté ses jambes moulées dans des molletières de peau de daim, et la paume gauche sur sa hanche, giflant de la main droite,