Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/263

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ça, de manger chez des marquis… Du diable, si jamais j’eusse pensé finir mes jours de simple facteur aux Halles dans les châteaux, avec l’amitié de la noblesse.

Déjà il rêvait orgueilleusement à des choses extravagantes, à de prodigieux honneurs et de plus prodigieux plaisirs.

Au café, le marquis, négligemment, demanda à Chomassus :

— Naturellement, vous avez vos voitures ?

— Non, répondit-il, je n’en ai pas… je ne compte pas en avoir…

Le marquis, scandalisé, sursauta :

— Comment ?… fit-il. Mais, il vous faut des voitures…

Un peu honteux, rougissant, Chomassus expliqua :

— Une petite charrette, avec un âne… pour les provisions… cela nous suffira.

— C’est impossible… déclara impérieusement le marquis. Je ne permettrai pas ça… Il vous faut une victoria et un coupé…

— C’est que…

— Voyons, mon cher… vous ne pouvez faire moins…

Chomassus, ébranlé, murmura :

— Vous croyez ?…

— Absolument indispensable, mon cher. Et tenez… ma foi, tant pis !… vous me plaisez tellement, je suis tellement heureux que vous soyez mon