Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/273

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Il était ému, et son cœur battait à l’idée qu’il allait, enfin voir et toucher ces fameuses voitures qui n’avaient, il est vrai, conduit qu’un prétendant, mais qui avaient bien failli nous ramener un roi. Il essayait de se représenter ces voitures « qui étaient presque un trône », ces voitures merveilleuses, dont il s’en était fallu si peu qu’elles eussent roulé de Boulogne à Paris, au milieu du tumulte exalté, des acclamations délirantes de tout un peuple… Elles devaient être magnifiques et toutes dorées, avec des panneaux peints d’emblèmes redoutables… des sièges larges et hauts, recouverts, comme un lit de reine, de housses brodées de fleurs de lys… et, derrière, de grands diables d’heiduques, poudrés, chamarrés d’or, couturés d’or, la tête ornée du lampion, les mollets marquants, des mollets de gladiateur sous la douceur caressante du bas de soie. Et les lanternes ciselées, sans doute, comme les pendules de M. de Camondo !… Et les ressorts souples, agiles, berceurs, qui se recourbent en col de cygne !… Pour le faste et pour la splendeur carrossière, il les assimilait, ces voitures, à l’éblouissante calèche du duc de Brunswick, que, jadis, il avait tant admirée à l’Hippodrome, quand, au trot de ses quatre chevaux caracolant, elle venait déposer, sur la piste, de mauves gymnastes et des clowns vieux rose, étoilés d’argent… Elles lui rappelaient aussi l’imposante, l’architecturale beauté des corbillards empanachés, chargés d’attributs symboliques