Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/291

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ordonna le maire… Qu’on m’apporte une bouteille de rhum… Il n’est que temps… N’ayez pas peur…

Il introduisit entre les dents du patient le goulot de la bouteille pleine de rhum. D’abord, le pochard parut ravi. Un expression de joie illumina sa figure.

— Na… vous voyez ? fit le maire. Il revient à lui… Ça va mieux… Il n’y a que le rhum !… nous le sauverons… Aidez-moi.

Et, d’un mouvement rapide, il redressa la bouteille toute droite, le goulot profondément enfoncé dans la bouche du matelot.

Tout à coup, celui-ci suffoqua. Il fit de grands gestes. Un spasme lui secoua la gorge. Le liquide rejeté coula par la bouche, par le nez, avec un bruit de râles et d’étranges sifflements.

— Allons… bois donc… avale, sacré mâtin, dit le maire qui enfonça la bouteille plus avant dans la bouche…

Mais l’œil se convulsait, se renversait sous la paupière. Les membres rigides se détendirent, les gestes cessèrent… Le matelot était mort étouffé par le rhum.

— Trop tard… prononça le maire d’une voix navrée… Sacré mâtin !

Ce soir-là, le tambour de la ville parcourut les rues du Kernac, et, tous les vingt pas, après un roulement, il lisait la proclamation suivante :

AUX