Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/299

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à devenir un homme du monde… un véritable homme du monde… Je suis joli garçon, j’ai de la séduction naturelle et acquise… de l’esprit… une santé de fer… infiniment d’élégance… Rien ne m’était plus facile que de me faire recevoir de l’Épatant, du cercle de la rue Royale… et d’être invité aux soirées carminales de M. de Montesquiou… Mais j’avais trop de scrupules… Tricher au jeu, aux courses, tirer un cheval… meubler de jeunes cocottes… en démeubler de vieilles… vendre mon nom, mes influences mondaines, au profit d’un nouveau kina, d’un banquier douteux, d’un chemisier réclamiste, d’un fabricant d’automobiles… d’un usurier ou d’une jolie femme ?… Ma foi non ! Bref, j’épuisai ainsi tout ce que la vie publique ou privée peut offrir de professions sortables et de nobles carrières à un jeune homme actif, intelligent et délicat comme je suis. Je vis clairement que le vol – de quelque nom qu’on l’affuble – était le but unique et l’unique ressort de toutes les activités, mais combien déformé, dissimulé et, par conséquent, combien plus dangereux ! Je me fis donc le raisonnement suivant : « Puisque l’homme ne peut pas échapper à cette loi fatale du vol, il serait beaucoup plus honorable qu’il le pratiquât loyalement et qu’il n’entourât pas son naturel désir de s’approprier le bien d’autrui d’excuses pompeuses, de qualités illusoires et de titres redondants dont la parure euphémique ne trompe plus personne. » Alors, tous les jours, je volai,