Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/315

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avisent enfin de rester stériles, ne voulant pas qu’il sorte d’elles des créatures impitoyablement vouées à la misère et à la mort… Eh bien, non… on ne veut plus rien savoir…

« Il avait dit tout cela sur un ton tranquille, et tandis que, à califourchon sur le haut d’une échelle double, il sciait avec méthode et lenteur une planchette de bois… La planchette sciée, il se croisa les bras et me regarda en hochant la tête :

» – Voyons, monsieur, fit-il… est-ce pas vrai, ce que je dis là ?… Et qu’est ce qu’ils nous chantent, avec leur sacrée dépopulation ?… Quand tous ces beaux farceurs auront fait leur examen de conscience et qu’ils auront reconnu loyalement que le mal n’est pas en nous… mais dans la constitution même de la société… dans la barbarie et dans l’égoïsme capitaliste des lois qui ne protègent que les heureux… alors, on pourra peut-être causer… D’ici là, nous continuerons à jeter au vent qui la dessèche la graine humaine et les germes de vie… Qu’est-ce que cela me fait, à moi, la richesse et la gloire d’un pays où je n’ai qu’un droit, celui de crever de misère, d’ignorance et de servitude ?…

« Je lui demandai alors pourquoi et comment ses trois enfants étaient morts.

» — Comme ils meurent tous ou presque tous chez nous, me répondit-il… Ah ! cette histoire est courte, et c’est l’histoire de tous mes camarades… De l’une à l’autre, la forme de misère peut varier quelquefois,