Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/334

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— S’il y a parmi nous des gens de goût, des gens vertueux et des vaudevillistes, je les prie de ne pas écouter… Voici cette lettre… Et il lut :


Monsieur,

Ah ! je la connais bien la raison… la raison qui fait que vous ne me comprenez pas… que vous ne m’aimez pas… que vous ne m’aimerez jamais, et que tous, tant que vous êtes, vous me laisserez périr sur l’échafaud, ou crever dans les bagnes, froidement, sans un regard de pitié sur moi, sans même un regard de curiosité sur moi…

Vous autres, messieurs, vous êtes des gars sains et vigoureux… vous avez la peau solide, les yeux purs, et les bras longs… et du ventre. Ah ! oui, du ventre… Mais cela ne fait rien… Moi aussi, j’ai du ventre… Dieu sait pourtant !

Vous autres, messieurs, vous êtes nés… vous vous êtes développés dans les contrées adorables où la nourriture pousse partout, où même il ne pousse que de la nourriture… Et les muscles pleins de force, les veines pleines de sang bien chaud, les poumons pleins d’air purifié, vous arrachant à l’extase et à la fertilité de vos sites, vous êtes venus apporter à Paris cet idéal si beau, qui sent si bon l’herbe fraîche de la prairie, l’arôme des sources, le calme, le silence des forêts profondes… les étables et le foin… oh ! le foin ! À Paris… oui, à Paris, pour dompter Paris, que,