Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/35

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fait un chat, en grattant le sol de ses ongles. Chose extraordinaire : quand je le soulevai et le pris dans ma main, non seulement il ne se roula pas en boule, mais il ne darda pas un seul de ses piquants et ne fronça point les plis barbelés de son petits crâne. Au contraire, à la façon dont il groïnait et faisait claquer sa mâchoire, à la façon aussi dont son nez farfouilleur frémissait, je vis qu’il exprimait de la joie, de la confiance et… de l’appétit. pauvre petit diable ! Il était pâle et, pour ainsi dire, étiolé, à la manière des salades qui sont restées longtemps dans un lieu obscur. Ses yeux, très noirs, brillaient de l’étrange éclat qu’ont les yeux des chlorotiques, et ses paupières humides, légèrement suintantes, révélaient à mon œil exercé d’étiologue une anémie avancée. Je le montai dans la cuisine, et, tout de suite, il nous stupéfia par sa familiarité et ses aises d’être chez soi. Il reniflait comme un affamé vers les fricots qui mijotaient doucement sur le feu, et ses narines humaient, avec d’impératives délices, les odeurs de sauces qui passaient.

Je lui offris d’abord du lait, et il le but avidement. Ensuite, je lui présentai un morceau de viande, sur laquelle, dès qu’il l’eut flairée, il se précipita voracement, comme un tigre sur sa proie. Les deux pattes de devant croisées sur la viande, en signe de possession définitive, il la déchiquetait, de coin, en grognant, et son petit œil noir s’allumait de lueurs féroces. De menues lanières rouges