Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/388

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me faut encore deux heures… Occupe-les, les Pompes funèbres… donne-leur à boire… fais-leur visiter l’atelier… Ou plutôt non… écoute…

Il fit signe à son domestique d’approcher, et gaiement, avec une grimace gamine sur ses lèvres, une grimace où se trouvait tout entier le bohème qu’il avait été jadis, il recommanda :

— Tu leur diras, aux Pompes funèbres, qu’ils se sont trompés de maison ; et que c’est dans la rue à côté.

Et il se remit à peindre.

Le soir, au retour de l’enterrement, Barnez s’enferma dans la chambre. Et longtemps, l’œil sombre, le front plissé, la tête dans les mains, il resta, prostré, devant la toile, tout ce qui lui restait désormais de sa chère Mathilde. Au bout d’une heure, comme la nuit venait, il se leva :

— Ah ! Je vois bien tout ce qu’il y aurait encore à faire, soupira-t-il… Ça n’y est pas… Mais quoi !

Et regardant le lit vide, où quelques fleurs, oubliées, tristement se fanaient, il ajouta, avec un regard suprême :

— Il me faudrait la nature !

Depuis ce temps, Guillaume Barnez est tout triste. Il me confie ses découragements :

— Je ne peux plus travailler, me dit-il. Et si je n’avais pas de vieilles toiles, dans mon atelier, je ne sais pas, en vérité, comment je vivrais… Tu te rappelles mon Souper chez Néron ?… Oui… Eh bien,