Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/390

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pardessus mastic, rentrait d’une excursion au port de Vénasque.

— Hé ! bonsoir… me salua-t-il… Je suis fort content de vous voir, cher monsieur Georges… fort content, en vérité…

Et serrant, à la briser, ma main dans ses mains gantées de peau de chien, il répéta, souriant :

— Fort content… fort content… Ah ! vous n’imaginez pas à quel point vous m’êtes sympathique, mon cher monsieur Georges… Non, là, vraiment… vous m’êtes un ami… un véritable ami… D’ailleurs, aujourd’hui… j’aime tout le monde… Vous entendez… j’aime tout le monde !…

Ces effusions de M. Tarte m’étonnèrent grandement. Il n’était point dans ses habitudes de les prodiguer de la sorte. Bien au contraire. C’était un petit homme sec, nerveux, maniaque, de geste fébriles, de voix insolente, et qui s’irritait à propos de tout et de rien. Il était, pour ainsi parler, le cauchemar de l’hôtel. Pas un repas qui ne fût troublé par ses discussions, ses incessantes récriminations. Il ne trouvait jamais rien de bien, il se plaignait du pain, du vin, du bifteck, des garçons, de ses voisins. Ses exigences acrimonieuses s’étendaient même sur le système des water-closets, qu’il ne jugeait pas assez perfectionné. Il nous était à tous un supplice quotidien. Et voilà que tout à coup, il se montrait d’une gaieté affectueuse, débordante, et que son visage, toujours plein