Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/405

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

l’universelle haine. Oh ! tuer Jean !… Au lieu de repousser les rouges images, les rouges et fugaces images de mort qui passaient devant moi, dans les ténèbres de l’écurie, je m’efforçais de leur donner une forme moins vague, un corps haï, la forme et le corps de Jean égorgé à mes pieds et râlant… Et j’en éprouvais un soulagement momentané… Ce fut comme une goutte d’eau fraîche sur les lèvres d’un voyageur mourant de soif… Oh ! tuer Jean !

Le petit lièvre grandissait… Chaque fois que Jean revenait des champs, il allait porter un peu de lait à l’animal et remettre de la paille fraîche dans le clapier. Il lui disait des choses douces et de petites chansons naïves, comme à un enfant… À la ferme, on aimait le lièvre, parce qu’on aimait Jean… Tout le monde demandait à Jean :

— Eh bien ?… Et ton petit lièvre ?

Jean répondit avec un bon sourire :

— Il vient bien… il boit bien… il a des yeux bien éveillés…

Moi, je détestais le lièvre, parce que je détestais Jean. Chaque fois qu’on parlait du lièvre, devant moi, je me sentais comme une affreuse brûlure dans la poitrine… Et ces soirs-là, en allant nous coucher, je disais à Jean :

— Canaille ! Tu verras que je te ferai ton affaire…

Une nuit, ne pouvant plus rester dans mon lit, je me levai, j’allumai la lanterne de l’écurie, et sortis