Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/433

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ivrogne !… Assassin ! », il s’approcha de moi, si près, que sa main me frôla.

Instantanément je fus dégrisé… Je sentis qu’une joie immense, presque voluptueuse, pénétrait en moi, coulait en moi, je ne sais quoi de puissant qui rendait à mes membres leur souplesse et leur force. Je saisis la main du vieux, je l’attirai près de moi, d’un coup sec. Il tomba en poussant un cri… Mais de ma main restée libre, j’avais pris une poignée de foin que je lui enfonçai dans la bouche. Et, me relevant d’un bond, et tenant sous mes genoux le maigre vieillard, je lui serrai, autour du cou, mes deux mains, où il me sembla que toutes les forces éparses dans la terre venaient d’affluer…

Je restai ainsi longtemps, longtemps, car je me rappelais les paroles de mes amis : « Les vieux, c’est le diable à tuer ! » Puis, quand ce fut fini, j’empilai sur le cadavre des bottes et des bottes, et de la paille… Et soulagé, heureux, je m’allongeai sur la pile, où je m’endormis d’un sommeil profond et très doux… sans rêves.