Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/438

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détournée avec un air de mauvaise humeur. Il ne s’est informé de personne, et, à des noms prononcés par moi avec insistance, des noms jadis chers et maintenant glorieux, il n’a pas eu une petite secousse intérieure, pas même un furtif clignement des paupières. Je n’ai pas senti en lui l’amertume d’un regret. Il semble avoir oublié tout cela, et que ses anciennes passions, ses anciennes amitiés ne sont plus que des rêves, à tout jamais effacés ! De mes travaux, de mes espérances en partie réalisées, en partie déçues, il ne m’a pas soufflé mot. Du reste, dans sa maison, j’ai vainement cherché un livre, un journal, une image quelconque. Il n’y a rien, et son intérieur est aussi dénué de vie intellectuelle que celui des montagnards.

Hier, comme je le harcelais, une dernière fois, pour connaître le secret de cet inexplicable renoncement, il m’a dit :

— Qu’est-ce que tu veux ?… Qu’est-ce que tu veux ?… Le hasard m’a conduit ici, pendant une vacance d’été… Le pays m’a plu à cause de sa détresse indicible… ou, du moins, j’ai cru qu’il me plaisait… J’y suis revenu l’année suivante, sans projets… Je voulais y passer quelques jours seulement… J’y suis resté vingt ans !… Et voilà !… Il n’y a pas autre chose… C’est très simple, comme tu vois…

Ce soir, Roger m’a demandé :

— Penses-tu quelquefois à la mort ?