Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/440

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roc et de schiste, il m’est venu comme une pesante oppression, comme un étouffement… J’avais réellement sur ma poitrine, sur mon crâne, la lourdeur de ces blocs… Roger Fresselou a repris :

— Quand l’idée de la mort s’est, tout d’un coup, présentée à moi, j’ai, en même temps, senti toute la petitesse, toute la vanité de l’effort dans lequel, stupidement, je consumais ma vie… Mais j’ai atermoyé… je me suis dit : « J’ai pris le mauvais chemin… il y a peut-être autre chose à faire que ce que je fais… L’art est une corruption… la littérature un mensonge… la philosophie une mystification… Je vais me rapprocher des hommes simples, des cœurs frustes et vierges… Il existe, sans doute, quelque part, dans des endroits purs, loin des villes, une matière humaine d’où l’on peut faire jaillir de la beauté… Allons-y… cherchons-là !… » Eh bien, non, les hommes sont les mêmes partout… Ils ne diffèrent que par les gestes… Et, encore, du sommet silencieux où je les vois, les gestes disparaissent… Ce n’est qu’un grouillement de troupeau qui, quoi qu’il fasse, où qu’il aille, s’achemine vers la mort… Le progrès, dis-tu ?… Mais le progrès c’est, plus rapide, plus conscient, un pas en avant vers l’inéluctable fin… Alors, je suis resté ici où il n’y a plus rien que des cendres, des pierres brûlées, des sèves éteintes, où tout est rentré, déjà, dans le grand silence des choses mortes !…