Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dessus de soi, toujours des murs, et des murs et encore des murs qui vous séparent de la vie !… Jamais une éclaircie, une échappée d’horizon, une fuite vers quelques chose, et pas un oiseau… Si j’étais sentimental, je ne pourrais pas, plus malheureux que Silvio Pellico, chanter pour me distraire :

Hirondelle gentille
Qui voltige à la grille
Du prisonnier !…

Non, rien que ces murs mornes et noirs où le regard se heurte sans pouvoir les franchir, où la pensée se brise sans pouvoir les traverser… Et pas de ciel non plus ; jamais de ciel ! … Comprenez-vous cette terreur ?… Des nuages lourds, étouffants, qui tombent, qui tombent, couvrent les sommets, descendent dans les vallées, en rampant sur les pentes, qui disparaissent aussi, comme les sommets… Et ce sont les limbes… c’est le vide du néant… Plus impénétrable que le roc et le schiste, ce ciel, que n’ouvre jamais aucun rêve, m’affole… Il ne me parle que de désespoir, ne m’apporte que de persistants conseils de mort… Le suicide rôde partout ici, comme, ailleurs, la joie dans les prairies et dans les jardins… Et j’ai cette impression d’être enfermé vivant, non dans une prison, mais dans un caveau…

— Il faut vaincre cela… me dit Triceps… marche, marche… sapristi !

Il est étonnant… Mais où donc marcher ?… Vers quoi marcher ?… Vers qui marcher ?