Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/56

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en effet, car maintenant j’ai la muraille suintante à ma gauche, et c’est à ma droite que ronchonne le petit torrent… Je marche… je marche… et ainsi, durant toute la journée…

De temps en temps, le guide me dit :

— Cet endroit s’appelle la rue d’Enfer…

Ou bien :

— Cet endroit, c’est la Porte de la Mort…

Il me cite des noms de pics, de ports, de cols. Et ces noms n’expriment jamais que des idées de damnation et de malédiction. De place en place, de petites croix de bois, pour rappeler aux passants le souvenir d’un ensevelissement sous la neige ou sous la pierre.

— Ici, périrent neuf chaudronniers qui se rendaient en Espagne… me dit encore le guide, car il comprend que je suis triste, et qu’il faut me distraire un peu.

— Mais les sommets… les sommets ?… Je veux atteindre les sommets…

— Il n’y a pas de sommets…

Et il a raison, ce guide. Il n’y a jamais de sommets… Quand on croit avoir atteint un sommet, il se trouve qu’on est encore dans une prison, dans un caveau… Devant soi, les murs, plus terribles, plus noirs, d’un autre sommet… Et, de sommet en sommet, c’est vers plus de mort que l’on monte…