Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/62

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ils s’acharnent à de hideuses amours, et désolent, de leurs baisers malthusiens, le silence de la nuit.

Hier, sur la route d’Espagne, j’ai rencontré M. Isidor-Joseph Tarabustin. Il était arrêté au pied du dernier bec de gaz de France. Sa femme se tenait à sa droite, son fils à sa gauche. Et, sur le fond des montagnes, dans le crépuscule que la lune argentait, cela faisait comme une scène étrange de la Passion, une parodie bouffonne du Calvaire.

Il ne passait plus personne sur la route, ni bêtes, ni gens. Au creux de l’étroite vallée, le torrent bouillonnait entre des éboulements de rocs, et roulait des cailloux avec des bruits d’harmonica. Et la lune glissait lentement sur le ciel dans l’échancrure de deux montagnes, de seconde en seconde moins noires, et voilées de brumes mauves.

Prévoyant que M. Isidor-Joseph Tarabustin allait proférer des paroles définitives, et désireux de les entendre, je me dissimulai derrière le talus de la route, afin de ne point effaroucher son éloquence.

— Rose… commanda tout à coup M. Tarabustin… et toi, Louis-Pilate… regardez, tous les deux, cet appareil… d’éclairage.

Et, d’un geste noble, il montrait le réverbère que, par une judicieuse économie, l’administration municipale n’avait point allumé, car il faisait clair de lune, ce soir-là.