Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/81

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la République, légalement, ce paysan… ce cultivateur… ce laboureur… cet agriculteur… qui a semé ce blé… »

Et Me du Buit continua, de la sorte, durant deux jours… Et telle fut la puissance de cette éloquence, que ce paysan…, ce laboureur…, cet agriculteur…, ce cultivateur, prit, à la fin, une consistance corporelle…, il emplit, à lui seul, la salle de sa présence exclusive et formidable. On ne vit plus que lui. Les monceaux de cuivre avaient disparu.

Les juges étaient émerveillés. Pendant les suspensions d’audience, les avocats, enthousiasmés, se répandaient dans les couloirs, criant leur admiration. On entendait des conversations comme celle-ci :

— Non, vraiment, c’est extraordinaire… Avez-vous jamais entendu plus étincelante plaidoirie ?

— Jamais… cela nous ramène aux grands jours de Berryer… aux grandes luttes de Jules Favre…

— Et ce que ça éclaire la question ! Bigre !… Non, mais la tête du ministère public ?… Avez-vous vu, hein ?… Croyez-vous qu’il s’amuse, le ministère public ?

Et les accusés, réconfortés, prenaient des airs inflexibles d’accusateurs…

Me du Buit, quelques semaines après, était nommé bâtonnier, par acclamation.