Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/88

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Mais, de même qu’il n’avait rien entendu de mon implorante invitation à l’humilité et au repentir, de même, le nom de Émile Ollivier, brusquement jeté à sa face, ne lui apporta pas d’autre écho que celui de sa propre vanité et de son incommensurable orgueil. Il sourit à ce nom, se mira dans ce nom, comme dans un miroir de mensonge, se trouva beau, et il répondit, d’une voix emphatique :

— Non, je ne suis pas sévère… je suis juste et perspicace, voilà tout, et je suis patriote… Je suis un politique supérieur, moi, un homme d’État clairvoyant, qu’ont façonné les grands exemples de l’histoire, et les grandes luttes contemporaines où s’illustra mon nom… Je connais les hommes, mon cher monsieur, et comment on les dirige et gouverne… et je connais aussi la situation de l’Europe, ses ambitions effrénées, ses machinations secrètes, ce qu’elle attend de nos littératures corrompues, de notre art putride, ce qu’elle espère de notre légèreté et de notre ignorance… Et c’est pourquoi, je vous dis : « Nous allons à la conquête, au morcellement de la patrie… de-la-pa-trie !… »

Dans un magnifique mouvement oratoire, il enleva sa toque écossaise, qui roula parmi les journaux et brochures, sur les coussins, et il poursuivit :

— L’entente est faite entre les puissances… le partage consenti… Là-dessus, mes renseignement